Une approche pragmatique des chaînes d’approvisionnement zéro-déforestation : coup de projecteur sur les exportations de soja brésilien vers la France
De vastes étendues de l’Amazonie brésilienne et du Cerrado sont parties en fumée l’année dernière. Et la saison des incendies est repartie de plus belle cette année, car la déforestation continue à progresser pour faire place aux pâturages pour le bétail et aux champs de soja. Le Brésil constitue aujourd’hui la principale source d’importation de soja en Europe ; les Pays-Bas, l’Espagne et la France comptant parmi les plus gros importateurs. En effet, le soja importé, principalement destiné à l’alimentation animale, est responsable de la moitié de l’empreinte de l’Union européenne (UE) sur les forêts tropicales.
Face aux défis mondiaux en matière de climat et de biodiversité, les entreprises et les gouvernements se sont engagés à réduire leur empreinte sur la déforestation.
La déforestation en cours au Brésil, et dans d’autres régions du monde, mine néanmoins ces efforts, nuisant aussi à la réputation de secteurs entiers. Mais comment distinguer le soja zéro-déforestation du reste ?
Identifier les points chauds
Aussi surprenant que cela puisse paraître, peu d’acheteurs sont susceptibles de connaître la provenance de leurs importations de soja. Les chaînes d’approvisionnement en matières premières agricoles sont complexes. En effet, issu de différentes régions, le soja est conditionné en vrac avant d’être expédié. Cela signifie que même des quantités relativement faibles de soja associé à la déforestation peuvent contaminer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
La dernière étude de Trase sur la déforestation liée aux matières premières agricoles montre que plus de la moitié du risque de déforestation lié aux exportations brésiliennes est concentré au sein de 1 % des municipalités produisant du soja.
Si l’on se concentre sur les exportations de soja brésilien, on sait que la déforestation liée au soja est fortement concentrée dans la région du nom de Matopiba, qui couvre une partie des biomes vulnérables de l’Amazonie et du Cerrado. Il s’avère que près de 90 % du risque de déforestation récent associé aux exportations de soja du Brésil se trouve dans cette région.
Pour les importateurs européens, seuls 7 % des importations de soja de l’UE en provenance du Brésil en 2018 provenaient de cette région à haut risque. Pourtant, ces importations représentaient 61 % de l’exposition de l’UE au risque de déforestation du soja. Comment les gouvernements et les acheteurs peuvent-ils utiliser au mieux ce type d’informations pour lutter contre le risque de déforestation lié à leurs approvisionnements ?

La nécessité d’une attention particulière
Les récentes discussions des parties prenantes sur la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée en France ont mis en évidence la nécessité d’adopter une approche pragmatique. La traçabilité et l’engagement dans les zones que l’on sait les plus touchées par la déforestation s’avèrent prioritaires, tout en descendant si possible au niveau des exploitations agricoles.
Pour les acheteurs français, cela signifierait que la traçabilité et une plus grande transparence dans seulement 12 % des municipalités productrices de soja au Brésil leur permettraient de vérifier ce qui se passe au sein des exploitations agricoles des zones où a lieu 90 % de la déforestation liée au soja.
Certains des plus grands négociants en soja ont adopté une approche similaire dans le cadre des travaux du Soft Commodities Forum (le Forum des matières premières agricoles). Ils travaillent à la mise en place d’une traçabilité complète au niveau des exploitations dans 25 municipalités à haut risque au Brésil, mais la divulgation effective de ces informations à des fins de vérification indépendante reste à voir.
Identifier l’origine du problème
Une récente étude de Trase, Imaflora et ICV montre qu’il est possible de réaliser des évaluations de la déforestation au niveau des exploitations agricoles à l’aide de données accessibles au public. Les auteurs ont ainsi utilisé des données officielles relatives aux licences de déforestation afin d’identifier les endroits où la déforestation avait eu lieu sans licence et qui, par conséquent, s’avérait illégale.
Dans le Mato Grosso, premier État brésilien en matière de production de soja, 95 % de la déforestation dans les exploitations de soja a été jugée illégale et 80 % de celle-ci s’est produite au sein de seulement 400 exploitations, soit 2 % de l’ensemble des exploitations de soja de l’État.
La France est l’un des pays d’Europe les plus exposés au risque de soja associé à la déforestation illégale. Près d’un quart (23 %) des importations françaises de soja provenant du Mato Grosso en 2018 était probablement issu d’exploitations dont la déforestation était illégale.
Par ailleurs, la source de ce risque peut être identifiée plus précisément : seules trois municipalités (Paranatinga, Gaúcha do Norte et Porto Alegre do Norte) concentrent 50 % de ce risque. En évaluant les débouchés commerciaux du soja dans ces municipalités, l’étude a montré qu’une poignée d’entreprises dominaient le commerce d’exportation du soja.
Les possibilités d’action
La déforestation liée au soja étant fortement concentrée dans des localités particulières et des entreprises spécifiques, des actions ciblées dans ces domaines pourraient avoir un impact relativement élevé.
Les gouvernements des pays consommateurs passent ainsi à côté de possibilités inexploitées qui permettraient une transformation profonde du secteur, sur la base d’une transparence et une collaboration accrues. À cet effet, il faudrait que les fournisseurs fassent preuve de davantage de transparence concernant l’origine des exportations, et que les gouvernements et les entreprises travaillent conjointement en vue d’identifier et de surveiller les zones prioritaires à haut risque au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Les acheteurs, mis sur un pied d’égalité, pourraient ainsi mieux gérer les risques de déforestation au sein de leurs activités commerciales.
En activant ces leviers, les gouvernements et les entreprises pourraient réaliser des progrès réels en vue d’une économie sans déforestation.

André Vasconcelos
Associé de recherche
Trase/Global Canopy

Thomas leads the Facility’s work with producer and consumer countries on enhancing the transparency of forest-risk commodity trade. He engages in the Transparency for Sustainable Economies (Trase) initiative to improve monitoring of forest-risk supply chains. He also leads the Facility’s work on land-use planning, by managing and developing activities that use the Facility’s interactive Land-use Planner tool.
Thomas previously worked on land-use governance issues at the UN Environment Programme (Kenya), the World Bank (United States) and philanthropic foundations. He has a background in environmental policy.