Rapport

Cadre juridique de l’agroforesterie dans le domaine rural ivoirien

La présente analyse décrit les principales règles juridiques régissant l’accès à 1) la terre rurale vis-à-vis des pratiques (agro)forestières, à 2) la propriété des arbres plantés et 3) aux services environnementaux associés, notamment ceux générés par la séquestration de carbone.

Ce faisant, elle vise à répertorier les facteurs juridiques susceptibles de favoriser ou de limiter le développement des projets (agro)forestiers dans le domaine rural et à fournir aux divers investisseurs intéressés par de tels projets les informations pertinentes à l’évaluation des risques et opportunités correspondants.

Face à la dégradation alarmante de ses forêts, la Côte d’Ivoire s’est engagée à favoriser la reconstitution d’un taux de couverture forestière représentant au moins 20 % de la superficie du territoire national d’ici 2030. Pour se donner les moyens d’atteindre cet objectif ambitieux, elle s’est ainsi dotée de divers instruments politiques et juridiques, à savoir, notamment la stratégie REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts et rôle de la conservation, de la gestion durable des forêts et du renforcement des stocks de carbone dans les pays en développement), la Stratégie de Préservation, de Réhabilitation et d’Extension des Forêts (SPREF) et la Loi n° 2019-675 du 23 juillet 2019 portant Code forestier. Chacun de ces instruments poursuit explicitement cet objectif ¹.

Une meilleure sécurisation du foncier rural, dont les principes ont été récemment renforcés par la Loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 modifiant la Loi relative au Domaine foncier rural de 1998², est une condition essentielle de l’atteinte de ces objectifs.

L’insécurité foncière en Côte d’Ivoire représente en effet un risque majeur vis-à-vis les pratiques d’agroforesterie et de reboisement (citées comme « (agro)forestières » dans la suite de ce document). Une fois cette insécurité levée, le potentiel de développement de ces pratiques s’avère considérable et peut alors certainement rencontrer l’intérêt du secteur privé qui entend accompagner les efforts de l’État en la matière.

C’est notamment le cas des acteurs privés de la filière cacao, réunis au sein de l’Initiative Cacao et Forêts. Dans le cadre de cette initiative, les premiers pays producteurs, Côte d’Ivoire en tête, et les entreprises de l’industrie du chocolat se sont associés pour lutter contre la déforestation et promouvoir la reconstitution du couvert forestier, notamment par le développement de l’agroforesterie, à savoir l’intégration ou le maintien d’arbres forestiers dans les cacaoyères.

C’est aussi le cas des acteurs privés de la filière bois, soucieux de pouvoir assurer leur approvisionnement dans la durée et à la recherche d’espaces sécurisés dans le domaine rural, en complément des opérations de reboisement déjà menées dans les forêts classées.

Reboisement de teck, Côte d’Ivoire

Champ de l’analyse et définitions

Champ de l’analyse

Au-delà des textes juridiques déjà adoptés par la Côte d’Ivoire et qui s’imposent donc à toutes les parties prenantes, le gouvernement doit encore définir un certain nombre de dispositions. Il s’agit par exemple du délai d’immatriculation des terres qui sont l’objet de certificats fonciers, des modalités de vente d’arbres par leurs propriétaires ou encore de la propriété du carbone.

Le détail des dispositions devant encore être adoptées figure ci-après dans chacune des parties concernées.

Définitions

  • Droits coutumiers : droits d’occupation continue et paisible (c’est-à-dire de façon permanente et sans conflit) d’une terre du domaine foncier rural, ces droits d’occupation pouvant être constatés par un certificat foncier.
  • Détenteur de droits coutumiers : personne qui détient des droits coutumiers sur une terre rurale et qui peuvent être constatés par un certificat foncier³.
  • Certificat foncier : acte de l’administration qui atteste qu’une personne ou un groupe de personnes, détient des droits coutumiers sur une terre rurale⁴.
  • Immatriculation : processus au travers duquel un bien est inscrit sur le livre foncier au nom du propriétaire pour recevoir un titre foncier. L’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent requérir l’immatriculation en leur nom. Les personnes morales autres que l’État et les personnes non ivoiriennes peuvent requérir l’immatriculation au nom de l’État et solliciter dans la foulée un bail emphytéotique pour une durée de 18 à 99 ans conformément aux règles de contractualisation⁵.
  • Investisseur (dans le cas de la présente analyse) : toute personne physique ou morale investissant en nature ou en numéraire dans un projet (agro)forestier situé sur les terres d’autrui dans le domaine rural.
  • Titre foncier : un titre de propriété définitif et inattaquable sur un immeuble (terrain bâti ou non bâti). Il garantit au propriétaire une occupation permanente et durable, non limitée dans le temps. Le titre foncier est un droit de propriété à part entière⁶.

1. L’accès à la terre pour les pratiques (agro)forestières

Le domaine foncier rural constitue un patrimoine national auquel toute personne physique ou morale peut accéder⁷. Cette accession peut se faire soit en qualité de propriétaire, de locataire, de bénéficiaire gratuit, ou de détenteur de droits coutumiers. Ces quatre cas sont décrits ci-dessous.

1.1 L’accession en qualité de propriétaire

Selon la Constitution et la loi relative au domaine foncier rural⁸, seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à être propriétaires d’une terre dans le domaine rural au travers de la détention d’un titre foncier, aboutissement du processus d’immatriculation.

Autrement dit, les personnes étrangères et les personnes morales, même ivoiriennes, ne peuvent prétendre à la propriété de la terre dans le domaine rural, sauf si elles ont acquis la terre avant le 23 décembre 1998, c’est-à-dire, avant l’entrée en vigueur de la loi relative au domaine foncier rural précitée.

1.2 L’accession en qualité de locataire

Toute personne physique ou morale, ivoirienne ou étrangère, peut louer une terre rurale, en vue de son exploitation, à la condition que le bailleur détienne, au moins, un certificat foncier. Dans ce cas, le certificat foncier fait office de garantie d’accès à la terre.

Il faut préciser ici qu’un certificat foncier peut être détenu par une personne physique non ivoirienne⁹, contrairement aux titres fonciers (cf. § 1.1 précité). Conformément à la Loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019, le délai dans lequel les terres qui sont l’objet de certificats fonciers doivent être immatriculées (et ainsi transformées en titres fonciers) doit être fixé par décret. Ce délai était auparavant de trois ans, mais celui-ci a été abrogé par la loi précitée. La procédure d’immatriculation doit également être définie par décret.

Le contrat de location déterminera la durée et les droits et obligations des parties et doit être conclu de façon régulière. Dans le cas contraire, l’investisseur prend le risque d’être évincé.

Lorsque le contrat de bail a été régulièrement conclu, chaque partie doit respecter ses engagements, au risque d’engager sa responsabilité contractuelle (elle peut être contrainte en justice). Le bailleur s’engage à la mise à disposition la terre, pour la période convenue dans le contrat. En retour, l’investisseur s’engage à payer le loyer aux dates convenues.

1.3 L’accession en qualité de bénéficiaire gratuit

L’hypothèse peut s’avérer rare, mais la possibilité existe en droit. Le propriétaire d’une parcelle ou le détenteur d’un certificat foncier attaché à celle-ci peut en effet décider de l’affecter à un investisseur, sans en attendre une quelconque contrepartie financière ou en nature.

Dans le cas d’une mise à disposition gratuite, seul le propriétaire ou le détenteur du certificat foncier s’engage, mais il est tenu de respecter son engagement, au risque d’engager sa responsabilité. Son engagement consisterait à mettre à la disposition de l’investisseur la terre pour ses activités (agro)forestières durant la période indiquée.

1.4 L’accession en qualité de détenteur de droits coutumiers

Pour être reconnu comme détenteur de droits coutumiers, la loi prévoit qu’il faut exercer sur la terre concernée des droits coutumiers de façon continue et paisible, c’est-à-dire de façon permanente et sans conflit¹⁰.

Le détenteur de droits coutumiers fait usage de la terre et jouit de ses fruits. Il peut céder cette terre seulement si celle-ci a fait l’objet de l’établissement d’un certificat foncier. En effet, depuis le 14 octobre 2019, les terres dépourvues de certificat foncier ne peuvent pas être cédées¹¹. Pour le moment, ces terres ne peuvent pas non plus faire l’objet de location, car les conditions de cette location doivent encore être définies par décret (article 17 bis alinéa 2 de la Loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 portant modification de la loi relative au domaine foncier rural).

Stères de teck issus de première éclaircie, Côte d’Ivoire

2. La propriété des arbres plantés

La propriété des arbres plantés est fortement liée à la propriété foncière. Elle peut donc être intégrée à l’analyse de celle-ci. Au-delà des investisseurs, la clarification de la propriété des arbres plantés peut aussi lever les craintes légitimes que les producteurs peuvent encore avoir vis-à-vis de la propriété de ces arbres et de la valorisation de leurs efforts de plantation. Ceci contribuera largement à inciter ceux-ci à développer des pratiques (agro)forestières sur leurs terres.

2.1 À qui revient la propriété d’un arbre planté sur une terre disposant d’un titre foncier ?

La propriété de l’arbre planté est réglée selon qu’il existe (ou non) un accord entre les parties impliquées conformément à l’article 27 alinéa 2 du Code forestier : « La propriété d’une forêt créée ou d’un arbre planté, revient au propriétaire foncier ou à la personne qui l’a créée ou plantée en vertu d’une convention avec ledit propriétaire ».

La convention entre les parties peut ainsi prévoir que la propriété des arbres plantés par un investisseur lui revienne ou revienne au propriétaire, à savoir au détenteur du titre foncier¹².

Il peut en effet y avoir, lorsque les parties s’accordent en ce sens, une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du dessus et du dessous. Le propriétaire d’une parcelle de terre peut donc être différent du propriétaire des arbres qui y sont plantés¹³.

Dans le silence des parties, l’arbre revient au détenteur du titre foncier si, par exemple, ce dernier a ignoré la réalisation du projet (ce que sous-entend l’article 27 du Code forestier). Dans ce cas, le détenteur du titre foncier peut demander à l’investisseur d’enlever les arbres plantés. En revanche, si le détenteur du titre foncier veut conserver les arbres plantés, il a l’obligation d’indemniser l’investisseur (article 555 du Code civil).

Mais si le détenteur du titre foncier a bien été mis au courant du projet par l’investisseur et l’a laissé faire, les arbres ne lui appartiendront pas. La propriété des arbres plantés revient alors à l’investisseur (ce que sous-entend l’article 27 alinéa 2 du Code forestier). Dans ce cas de figure, le détenteur du titre foncier qui veut récupérer sa parcelle, qu’il ait ou non la volonté de conserver les arbres plantés, a l’obligation d’indemniser l’investisseur (article 555 du Code civil).

L’analyse ci-dessus est aussi valable pour les reboisements compensatoires, réalisés en contrepartie des volumes de bois prélevés dans les Périmètres d’Exploitation forestière. Ainsi, selon l’existence (ou non) d’une convention entre les parties, la propriété des arbres revient, soit au détenteur du titre foncier, soit à l’exploitant qui y a planté les arbres.

Au final, il convient de préciser ici que ce cas de figure restera certainement très marginal dans les années à venir, compte tenu du très faible niveau actuel d’immatriculation dans le pays.

2.2 À qui revient la propriété d’un arbre planté sur une terre disposant d’un certificat foncier ?

Dans le même esprit que le cas précédent, l’investisseur dans un projet (agro)forestier peut être propriétaire des arbres qu’il plante, ou dont il finance la plantation, s’il a, par exemple, accédé, par bail, à la terre objet d’un certificat foncier et qu’il a pris le soin d’établir une convention avec le bailleur précisant que les arbres plantés sont sa propriété.

Dans le silence des parties, les règles qui s’appliquent aux terres disposant de titres fonciers s’appliquent également aux terres disposant de certificats fonciers.

Compte tenu des diverses initiatives récentes (Projet REDD+ de la Mé) ou en cours (PAMOFOR : Projet d’amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale¹⁴ ; CLAP : Côte d’Ivoire Land Partnership, etc.) visant notamment à délivrer des certificats fonciers, ce cas devrait devenir de plus en plus fréquent à l’avenir.

2.3 À qui revient la propriété d’un arbre planté sur une terre objet de droits coutumiers ?

Il s’agit d’une question essentielle, car jusqu’à présent, c’est la situation la plus fréquente puisque très peu de terres rurales font l’objet de certificats ou de titres fonciers.

La propriété de l’arbre planté sur une terre objet de droits coutumiers n’est pas juridiquement déterminée. Au cas où l’investisseur aurait planté des arbres sur la terre coutumière d’autrui, il s’expose à une insécurité juridique. En effet, il peut à tout moment être évincé, pour défaut de contrat, même s’il peut prétendre à une indemnisation pour ses plantations (article 555 du Code civil). Les conditions de réalisation des transactions autres que la cession (et notamment la location) doivent encore être déterminées par décret.

Par conséquent, cette situation risquée limite fortement les opportunités d’investissement.

2.4 Quelle est la conséquence de la propriété de l’arbre planté ?

En droit ivoirien, être propriétaire d’un bien c’est avoir le droit d’utiliser et de profiter de la chose de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou règlements¹⁵.

Pour le propriétaire d’un arbre, cela signifie qu’il peut en faire usage, le conserver et percevoir les fruits générés par celui-ci. Il peut également vendre cet arbre ou le donner gratuitement, mais dans le respect de la règlementation en vigueur qui reste encore à clarifier, particulièrement vis-à-vis des modalités de vente.

Étude de cas : la certification foncière, pilier d’intervention du Projet REDD+ de la Mé

Le Projet REDD+ de la Mé a été mis en œuvre entre 2017 et 2020. Au-delà de son appui à la délimitation des territoires de villages, le projet s’était engagé à procéder à la délivrance de certificats fonciers (individuels ou collectifs) sur 3500 ha d’espaces boisés répartis dans six villages d’intervention.

Le projet a notamment conduit à la sécurisation d’exploitants agricoles (notamment non ivoiriens) à travers la conclusion de contrats de location avec les détenteurs de certificats fonciers (le plus souvent autochtones).

La délivrance des certificats fonciers a aussi permis le développement de modèles innovants de reboisement dans le domaine rural en collaboration avec quatre opérateurs privés. Ceux-ci étaient invités à passer des accords avec les détenteurs des certificats fonciers pour : 1) sécuriser l’opérateur dans son approvisionnement, et 2) rassurer le propriétaire sur la future vente des bois au moyen d’un prix minimum défini à l’avance.

Le coût de telles opérations groupées de certification foncière peut osciller entre 15 et 20 000 FCFA/ha (soit entre 22,8 et 30,5 euros/ha). Sur la base de cette expérience et des nombreux avantages associés, elles pourraient être largement mises à l’échelle pour faciliter le reboisement, mais également le déploiement de systèmes agroforestiers pérennes.

Ces opérations pourraient dès lors être financées à travers des partenariats publics-privés impliquant les acteurs du cacao et du bois, à l’image de ce que le projet CLAP va prochainement initier.

Plantation en agroforesterie

3. La propriété des services environnementaux associés

Dans le cadre de l’Initiative Cacao et Forêts et des efforts de restauration du couvert forestier ivoirien, les investisseurs privés intéressés par le développement de l’agroforesterie dans les plantations de cacao n’ont pas forcément vocation à être propriétaires de la terre et des arbres plantés. Néanmoins, certains d’entre eux comptent tirer profit du maintien des arbres sur pied dans les plantations. Quels sont alors les moyens juridiques permettant à ceux-ci de bénéficier des services environnementaux associés ? Pour répondre à cette question, il convient d’analyser ces bénéfices sous l’angle des services environnementaux générés par la plantation des arbres associés au cacao.

C’est dans une moindre mesure que cette question se pose pour les projets de reboisement, car la finalité des investisseurs de la filière bois est bien souvent de récolter les arbres à maturité.

3.1 Généralités

L’article 544 du Code civil, en disposant que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, laisse apparaître sur la chose trois attributs :

  • le droit d’user de la chose (l’abusus), c’est-à-dire le droit à se servir directement de son bien ;
  • le droit de jouir de la chose (le fructus), c’est-à-dire le droit de percevoir les fruits de tout ce que la chose produit sans que sa substance en soit altérée¹⁶ ;
  • le droit de disposer de la chose (l’abusus), c’est-à-dire le droit de vendre ou de détruire la chose.

Cette propriété peut être démembrée¹⁷ et c’est ce schéma qui convient aux relations entre les producteurs et les investisseurs.

Ainsi, pour un projet (agro)forestier, conformément à l’accord entre les parties et dans le respect de la règlementation, on pourrait imaginer que :

  • les producteurs puissent avoir le droit de vendre les arbres arrivés à maturité au terme de la convention, et de récolter dans l’intervalle les produits forestiers non ligneux issus de la plantation ;
  • les investisseurs puissent tirer bénéfice des fruits immatériels issus des services environnementaux fournis par la plantation (agro)forestière, à commencer par la séquestration de carbone, ce bénéfice se réalisant par le maintien des arbres plantés pendant le temps de la collaboration. Les investisseurs sont alors qualifiés d’usufruitiers¹⁸.

L’accord bipartite précité peut également être conclu entre trois parties, à savoir l’investisseur, le propriétaire de la terre (ou détenteur d’un certificat foncier) et l’exploitant de la plantation de cacao, dans l’hypothèse où ces deux dernières personnalités sont distinctes et ont par exemple déjà conclu un contrat de location.

3.2 Le carbone forestier

À l’image ce qui a été précédemment cité, les investisseurs peuvent donc être les bénéficiaires du carbone séquestré par les arbres plantés (ou maintenus grâce à leur investissement) dans les plantations de cacao. Ils accèdent ainsi à la possibilité de valoriser les crédits carbone correspondants, dans les conditions prévues par la règlementation en vigueur, et notamment les procédures d’homologation. Ce droit au carbone peut être partagé avec le bailleur dans les conditions déterminées dans l’accord signé avec ce dernier.

Une partie de cette règlementation est en cours d’élaboration, à commencer par le projet de décret « déterminant les règles de gestion des projets et programmes REDD+ et des réductions d’émissions de gaz à effet de serre¹⁹ afférents » et son projet d’arrêté d’application relatif à l’homologation des investissements REDD+ en Côte d’Ivoire.

L’article 7 du projet de décret précité décrit comme suit les droits de l’État et des personnes privées, selon la nature du projet de réduction mis en œuvre.

Le titre légal certifiant les réductions d’émission générées par des investissements REDD+²⁰ est la propriété de l’État, lorsque ces investissements REDD+ sont mis en œuvre :

  • dans le domaine forestier public (parcs et réserves) et privé (forêts classées) de l’État ;
  • dans le domaine foncier rural pour le compte de l’État dans le cadre d’un programme international auquel l’État a souscrit en son nom et qui permet aux personnes disposant de droits réels y compris coutumiers d’obtenir une partie des bénéfices carbone ou non-carbone prévus par ce programme international.

En outre, le titre légal certifiant les réductions d’émission générées par les investissements REDD+ dans le cadre des approches collaboratives prévues par l’article 6²¹ de l’Accord de Paris appartiennent à l’État, sauf stipulation contraire expresse de sa part.

L’État peut néanmoins transférer le titre légal à un tiers par voie de convention, au travers du ministre chargé de l’Économie et des Finances.

Lorsque les réductions d’émission sont générées par des investissements REDD+ mis en œuvre dans le domaine foncier rural, mais ne sont pas couvertes par un programme international auquel l’État a souscrit en son nom, le titre légal est la propriété de la personne physique ou morale qui a obtenu l’Acte d’homologation dans les conditions prévues par le projet d’arrêté d’application relatif à l’homologation des investissements REDD+ en Côte d’Ivoire.

Éclaircie dans un reboisement de teck

Conclusion

Encore soumise à certaines incertitudes juridiques, la présente note permet toutefois de bien caractériser les principaux risques auxquels s’exposent les divers investisseurs intéressés par le développement de projets (agro)forestiers. Elle permet aussi de décrire les diverses opportunités qui s’offrent à eux.

De tout ce qui précède, peuvent ainsi être retenus les points suivants :

  • Seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent être propriétaires d’une terre (c’est à dire détenteurs d’un titre foncier) dans le domaine rural en Côte d’Ivoire.
  • Les autres personnes physiques ou morales qui veulent accéder à la terre rurale peuvent y parvenir par le biais d’un contrat de location avec un bailleur détenant à minima un certificat foncier, ce dernier faisant office de garantie d’accès à la terre.
  • L’immatriculation des terres objet de certificat foncier n’est plus soumise à un délai de trois ans. Un nouveau délai sera fixé par décret. En attendant, ces terres peuvent faire l’objet de transaction en toute légalité.
  • Le contrat de location déterminera la durée et les droits et obligations des parties, et doit être conclu de façon régulière. Dans le cas contraire, l’investisseur prend le risque d’être évincé.
  • Depuis octobre 2019, les terres dépourvues de certificat foncier ne peuvent pas être cédées et ne peuvent pas non plus faire l’objet de location, car les conditions de cette location doivent encore être définies par décret.
  • L’investisseur dans un projet (agro)forestier peut devenir propriétaire des arbres plantés si cela est précisé comme tel dans la convention établie avec le propriétaire de la terre (autrement dit, le détenteur d’un titre foncier) ou avec le détenteur d’un certificat foncier.
  • La propriété de l’arbre planté sur une terre qui fait l’objet de droits coutumiers n’est pas juridiquement déterminée. Au cas où l’investisseur aurait planté des arbres sur la terre coutumière d’autrui, il s’expose à une insécurité juridique et peut à tout moment être évincé.
  • Le propriétaire d’un arbre peut faire usage de cet arbre, bénéficier de ses fruits, le céder gratuitement ou le vendre, conformément à la règlementation en vigueur qui reste à clarifier, notamment vis-à-vis des modalités de vente des arbres.
  • L’investisseur peut valoriser tout ou partie des réductions d’émissions (crédits carbone) générées par les plantations (agro)forestières, créées ou financées par ses soins à condition que le contrat conclu avec le bailleur l’indique expressément. Toutefois, au regard du projet de décret présenté à la section 3.2 de cette note, si l’investissement fait partie d’un programme international auquel l’État a souscrit en son nom, l’investisseur devra également obtenir le transfert de propriété de la part de l’État.

À la lumière de cette situation juridique, les recommandations suivantes peuvent être formulées vis-à-vis des investisseurs qui envisagent la mise en œuvre d’un projet (agro) forestier :

  • Dans l’état actuel de la règlementation, privilégier la contractualisation avec des détenteurs de certificats fonciers.
  • Éviter d’investir dans des projets (agro)forestiers visant seulement des terres qui sont l’objet de droits coutumiers. Dans un tel contexte, il est conseillé aux investisseurs d’intégrer la délivrance de certificats fonciers individuels ou collectifs²² dans leurs modèles d’investissement. Plusieurs projets en Côte d’Ivoire ont démontré que les coûts associés à la certification foncière deviennent très accessibles dès lors que des opérations collectives peuvent être menées à l’échelle d’une même localité ou d’une même coopérative.
  • Toujours bien clarifier les droits et obligations des parties dans les contrats de location des terres comme dans les conventions clarifiant la propriété des arbres plantés et des services environnementaux associés liant investisseurs et bailleurs.
  • Attendre que la règlementation liée au carbone forestier soit stabilisée avant d’envisager la valorisation des réductions d’émissions (crédits carbone) correspondantes.

References

  1. La Stratégeie de Préservation, de Réhabilitation et d’Extension des Forêts prévoit d’atteindre « successivement » des objectifs qui tiennent compte, entre autres, « du taux de 20 % de couverture forestière souhaité par notre pays ». La Stratégie nationale REDD+ constate que « La vision du gouvernement ivoirien à travers le mécanisme REDD+, est de stabiliser et inverser durablement par la suite la tendance de disparition des forêts naturelles à partir de 2017 et de restaurer simultanément, de manière progressive, le couvert forestier pour atteindre 20 % de couverture forestière d’ici 2030. L’article 2 du Code forestier prévoit de « favoriser la constitution d’un taux de couverture forestière représentant au moins 20 % de la superficie du territoire national ».
  2. La loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural a été modifiée par les lois n° 2004-412 du 14 août 2004, n° 2013-655 du 13 septembre 2013 et n° 2019-868 du 14 octobre 2019.
  3. Articles 7 et 8 de la loi no 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural telle que modifiée par la Loi n° 2014-412 du 14 août 2004.
  4. Plus d’informations sur le site de l’Agence Foncière Rurale (AFOR)
    http://afor.ci/certificat-foncier/
  5. Plus d’informations sur le site de l’Agence Foncière Rurale (AFOR)
    http://afor.ci/la-contractualisation/
  6. Plus d’informations sur le site de l’Agence Foncière Rurale (AFOR)
    http://afor.ci/titre-foncier/
  7. Article premier, alinéa 2 de la loi relative au domaine foncier rural.
  8. Article 12 alinéa 1 de la Constitution, repris par l’article premier, alinéa 1 de la loi relative au domaine foncier rural.
  9. Si cette personne étrangère a acquis ces droits coutumiers avant l’entrée en vigueur de la Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
  10. Article 6 nouveau et article 8 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
  11. Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, telle que modifiée par les lois n° 2004-412 du 14 août 2004, n° 2013-655 du 13 septembre 2013 et n° 2019-868 du 14 octobre 2019 (article 17 bis).
  12. La convention entre les parties n’est pas forcement écrite.
  13. Article 552 alinéa 1 du Code civil dispose : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ». La dissociation transparaît lorsque le texte parle de la propriété du sol, d’une part qui emporte la propriété du dessus et du dessous, d’autre part. La propriété du dessus et la propriété du dessous ne sont que les accessoires de la propriété du sol.
  14. Plus d’informations sur le site de l’Agence Foncière Rurale – PAMOFOR
    http://www.afor.ci/pamofor/
  15. Article 544 du Code civil prévoit que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
  16. Il peut s’agir de fruits naturels, industriels (liés à une exploitation, récolte), ou civils (loyer d’un bail).
  17. À titre d’exemple, une personne peut avoir le droit d’usage et le droit de disposition, sans avoir le droit de jouissance.
  18. L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance (article 578 du Code civil). L’usufruit est établi par la loi ou par la volonté de l’homme, c’est-à-dire par convention (article 579 du Code civil). L’usufruit peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles (article 581 du Code civil). Or le bien meuble peut être incorporel au sens de l’article 529 du Code civil.
  19. Dans le jargon climatique, les ‘réductions d’émission’ et ‘crédits carbone’ (tous deux exprimés en tonnes d’équivalent CO2) ont la même signification et englobent aussi les activités contribuant à la séquestration de carbone atmosphérique. Il ne s’agit donc pas seulement des réductions d’émission pouvant, par exemple, et pour rester dans le domaine forestier, être générées par la réduction de la déforestation.
  20. Définis comme suit dans le projet de décret : « Toutes activités mises en œuvre avec la volonté de valoriser la performance ou une contribution à la performance des activités REDD+ ».
  21. L’article 6 de l’Accord de Paris prévoit un système de transfert volontaire de droits d’émissions de gaz à effet de serre entre les pays. Concrètement, les réductions d’émissions réalisées par un État pourraient être rachetées par un autre.
  22. La loi prévoit deux variantes de certificat foncier : 1) le certificat foncier collectif qui correspond plus à la réalité socioanthropologique des terroirs villageois où les terres sont généralement des terres familiales ; 2) le certificat foncier individuel correspond quant à lui plus aux situations des terres acquises par les allogènes et allochtones, car elles sont des investissements privés et personnels.

This report was prepared by ClientEarth in collaboration with the EU REDD Facility. The contents of this report are the sole responsibility of the authors and can in no way be taken to reflect the views of the European Union.

Authors: Dr. Raphaël Kra, ClientEarth’s In-Country Associate in Cote d’Ivoire, and Adeline Dontenville, EU REDD Facility

Date: 27 April 2021